Conscience du Réel — Appendice III — États modifiés de conscience et accès à la structure profonde du réel — Sylvain Lebel
Appendice III
L’expérience mystique, l’intuition fulgurante, la dissolution de l’ego, la vision symbolique ou le sentiment d’une présence invisible peuvent surgir dans des contextes très variés : méditation profonde, répétition de mantras, hypnose, extase religieuse, isolement sensoriel, mais aussi épuisement, choc émotionnel, anxiété intense, ou encore via des substances psychoactives et des dispositifs électromagnétiques (p. ex. TMS).
Dans le cadre du présent modèle, ces états modifiés ne sont pas forcément des anomalies : ils peuvent refléter une reconfiguration temporaire du filtre neuronal qui modifie la hiérarchie ordinaire des discernements et laisse émerger des aspects du réel habituellement filtrés. Ce qui apparaît alors n’est pas nécessairement “créé” par l’état : il peut s’agir de ce qui est déjà là, devenu perceptible par un autre agencement de la conscience incarnée.
La conscience n’est pas conçue ici comme produite par le cerveau, mais comme s’exprimant à travers lui. Le cerveau configure l’accès : il ordonne une cascade de discernements, de l’intensité brute à la contextualisation. Lorsque cette architecture ordinaire se relâche — fatigue extrême, surcharge émotionnelle, rituels, psychotropes, stimulation — la cascade peut se court-circuiter ou s’inverser ; des contenus normalement inhibés peuvent alors affleurer.
C’est ainsi que des vécus dits mystiques peuvent émerger : dissolution relative du moi, porosité sujet/objet, altération de la temporalité, sentiment d’unité élargie. Dans cette perspective, pratiques contemplatives, dispositifs rituels ou techniques peuvent agir comme ouvertures de seuils : ils rendent possibles des formes de relation plus directes entre CELA et la structure incarnée, hors du circuit mental habituel.
Prudence et santé mentale. Toutes les expériences modifiées ne sont pas éclairantes. Certaines sont hallucinations cérébrales sans lien avec la structure profonde du réel, d’autres peuvent être perturbantes (angoisse, désorganisation, perte de repères). Si ces phénomènes sont non souhaités, persistants ou source de souffrance, il est important de consulter un professionnel de santé. L’exploration de ces états doit rester volontaire, encadrée et subordonnée à l’équilibre psychique.
En bref, une cosmologie du discernement peut considérer les états modifiés à la fois comme fenêtres sur le réel et comme distorsions internes : leur signification dépend du contexte, de la stabilité de la personne et du degré d’intégration des discernements. Cette double lecture n’idéalise ni ne pathologise : elle invite à une exploration lucide, respectueuse de la vulnérabilité humaine et des exigences du soin lorsque nécessaire.